Programme ANR RIMA (2022-2026)
Cordonnée par Fabienne Samson (IRD-IMAF), et Marie Nathalie Leblanc (UQAM)
I. Contexte, positionnement et objectifs de la proposition
a. Objectifs et hypothèses de recherche
Le projet RIMA, dont l’acronyme s’inspire du nom d’une joggeuse violentée dans les rues d’Alger en 2018 par un homme refusant de voir une femme courir durant le ramadan (Samson 2020), porte sur les femmes de l’espace Maghreb/Afrique de l’ouest islamisée et vise à étudier comment celles-ci, face aux diverses discriminations qu’elles subissent (inégalités de genre, territoriales, ethniques, économiques, religieuses), réagissent, luttent et/ou militent par le biais de l’islam. Notre ambition est d’appréhender la façon dont les femmes, dans le contexte contemporain de la crise djihadiste au Sahel, réinventent leur vie et leur environnement social via la religion. Il s’agira de réfléchir aux normes de religiosités, contrastées et parfois radicalisées qu’elles mobilisent, s’approprient et mettent en œuvre, pour lutter contre les inégalités dont elles souffrent et imposer leurs identités de femmes, de croyantes et de citoyennes. Les radicalités abordées ici renvoient à des pratiques exclusives, clivantes, englobant toutes les tendances de l’islam, du soufisme au salafisme (Amghar 2011).
L’espace Maghreb/Afrique de l’ouest islamisée est historiquement construit. Lieu d’échanges commerciaux et d’influences religieuses (l’islam malékite y circula dès le IXè siècle), cette zone connut plusieurs dynamiques qui en firent une entité géographique. Durant la période coloniale (XIXè et XXè), l’islamisation massive de l’ouest de l’Afrique fut impulsée par la Qadiriyya et la Tidjaniyya principalement, confréries soufies venues du Maghreb (El Adnani 2007), imposées parfois par le djihad armé (tel celui d’Omar Tall 1850/1860), et devenues des organisations de lutte contre la domination coloniale ou de contournement de celle-ci (Triaud & Robinson 2000). À cette époque, les populations musulmanes du nord et du sud du Sahel furent mises sous tutelle par l’administration française, les «bureaux arabes» de l’Algérie (1844) servant de laboratoire pour développer les «bureaux des affaires musulmanes» en AOF (1906) (Thénault 2012, Saaida 2015). Après les Indépendances (1956 à 1962), les échanges et influences à caractère religieux perdurèrent entre les pays de la sous-région, incluant les voyages d’études religieuses des subsahariens au Maghreb (Algérie, Tunisie), la diplomatie religieuse du Maroc vers le sud (Sambe 2010; Binaté, et al 2019), la circulation de prédicateurs et d’idéologies. Ces liens prirent souvent une dimension politique au point où des parallèles peuvent être établis entre les divers processus de réislamisation («projet politique de réactivation de la foi des croyants afin de rendre la société conforme à des normes religieuses», Roy 1992) menés à partir des années 1980/1990 dans cette zone. Aujourd’hui, le climat de violence dans la sous-région encourage les populations musulmanes à redéfinir leur religiosité («manière dont les individus vivent leur religion», Roy 2014), en opposition ou en adhésion à une nouvelle forme d’appréhension religieuse du politique. Depuis les années 1990/2000, les divers groupes du djihad armé agissent en réaction à des logiques socioéconomiques et politiques locales (Diallo & Degorce 2019) et ont en commun, malgré leurs antagonismes ou alliances de circonstances (Bonnecase & Brachet 2013), un langage de contestation de la légitimité des États. Ce fut le cas du FIS en Algérie (années 1990), des groupes radicaux en Mauritanie à la même époque (Ould Ahmed Salem 2012) ou actuellement, des diverses mouvances salafistes (Ba 2012; Cissé 2009; Jourde & Campana 2017) ou djihadistes agissant au Maghreb et en Afrique de l’ouest.
Dans ce contexte contemporain de politisation et d’instrumentalisation idéologique de l’islam, nombre de musulman.e.s questionnent les normes de leur «bonne religiosité» et redéfinissent leurs pratiques islamiques, dans leur vie quotidienne, entre logiques religieuses locales (généralement héritées des parents) et injonctions dogmatiques régionales et internationales véhiculées notamment par Internet (rituels de prières, port du voile et de la barbe, rejet de l’Occident, etc.). Se révèlent alors des appréhensions hétéroclites de l’islam, parfois fortement opposées (Samson 2012, 2013), qui ont cependant en commun l’idée que le religieux est central à tout projet de société: certain.e.s se mobilisent pour construire des idéaux socioreligieux en accord avec le rigorisme proposé par les mouvances djihadistes ou, plus généralement, par les multiples groupes à tendances salafistes non violents (Saint-Lary 2012a; Kane 2012). D’autres, à l’inverse, militent pour un «islam de la tempérance» (Bonnefoy 2019), porteur d’un message de paix et d’un dialogue inter-religieux (Miran 2012). L’intérêt de RIMA est d’orienter spécifiquement l’analyse sur les femmes de cet espace Maghreb/Afrique de l’ouest islamisée, pour saisir la manière dont leurs religiosités plurielles et divergentes leur permettent de défendre leurs identités de croyantes, les spécificités de leurs pratiques et leurs droits de citoyennes. Des travaux scientifiques récents, ainsi que des rapports d’organismes de l’aide publique au développement et de la société civile, révèlent le statut particulièrement précaire des femmes face à la violence actuelle au Sahel (Le Roux 2019; GIWPS & PRIO 2019; NGOWG 2018). Selon Walther (2020 : 30) «les femmes paient un lourd tribut à ces luttes armées, qui s’ajoutent aux discriminations structurelles qui pèsent sur leur représentation politique, leur activité économique et leur émancipation sociale dans la région». Cette situation, particulièrement marquante au nord du Nigéria, au Mali, Niger et Burkina Faso, a un impact généralisé dans la sous-région et interpelle les acteurs des droits des femmes et du développement. Face à cette violence et aux dynamiques sociales et cultuelles que ce contexte met en scène, RIMA propose de centrer les observations et les analyses sur les réactions et engagements des femmes de cette zone, et pas seulement sur leur victimisation.
L’entrée par le genre (Reiter 1975), enjeu central des politiques de développement (Locoh 2007; Adjamagbo & Calvès 2012; Saint-Lary 2012b), offre une perspective pertinente. Dans cette région, au-delà de la violence djihadiste, les musulmanes représentent la cible principale des prédicateurs en tous genres qui, parce qu’ils les considèrent comme éducatrices des jeunes générations et mandataires de l’honneur familial, les mettent au centre des débats sur les bons comportements (Samson 2005) et, par extension, sur les normes de «bonne religiosité». Les manières de faire et de vivre des femmes sont particulièrement contrôlées en famille et en société (LeBlanc 2007), souvent à travers leur corps, comme par exemple par le port du voile ou l’accès à l’espace public (Kérou 2010, Samson 2020). Ce statut de «cadettes sociales» les assigne à des normes genrées, alors même que nombre de combats sociétaux ont été portés, ces dernières décennies et dans l’ensemble des pays de la sous-région, par des militantes politiques et féministes (Hélie Lucas 2018, Oussedik 2011, Barkaoui & Bouasria 2013, Coulibaly 2017). Aujourd’hui, les femmes subissent un certain nombre d’inégalités (économiques, religieuses, territoriales, ethniques, etc.) dont l’analyse doit être intersectionnelle (Jaunait & Chauvin 2012), seule manière selon nous d’appréhender la complexité des enjeux de ces discriminations, en interaction les unes avec les autres (Fenstermaker & West 2006) et inscrites dans des contextes sociaux et historiques particuliers. Toutefois, l’objectif du projet RIMA n’est pas simplement d’observer ces formes de ségrégations, mais d’examiner les manières dont les femmes y répondent. Dans ce contexte réislamisé depuis les années 1980/1990, beaucoup de musulmanes usent du religieux pour se défendre, celui-ci venant légitimer leur combat: c’est parce qu’elles se présentent comme «bonnes musulmanes» qu’elles peuvent s’inscrire dans les débats publics (LeBlanc 2009, 2014).
L’équipe internationale en partenariats, de 11 chercheur.e.s (ivoirien, malienne, marocaine, sénégalais, japonaise, canadiennes et françaises), dans une démarche comparative et pluridisciplinaire (anthropologie, histoire, sociologie, linguistique, géographie, science politique) à partir d’un faisceau d’enquêtes (observation participante, études de cas et entretiens) couvrant le Maghreb et l’Afrique de l’ouest islamisée, questionnera les modes d’action de ces musulmanes. Ce projet apportera ainsi une contribution inédite et majeure dans le champ des études sur la religiosité islamique militante des femmes dans la sous-région aujourd’hui. Or, comprendre les modes de réaction des musulmanes par le biais du religieux implique d’étudier leurs religiosités et les enjeux qu’elles leur donnent. Mais les normes islamiques qu’elles revendiquent sont diverses, contradictoires et souvent concurrentielles: la manière dont chacune se montre musulmane, les prescriptions religieuses que chacune décide de suivre, de réinventer et d’imposer collectivement, entraînent des clivages quant à la définition d’un «bon islam». Cette concurrence des normes, inhérente à toute religion, prend aujourd’hui une importance particulière dans cette zone géographique où est mise en avant la quête d’une solution religieuse face aux problèmes politiques, économiques et territoriaux. Le travail réalisé dans le projet RIMA vise à démontrer que nombre de ces femmes deviennent militantes de leur propre praxis, utilisent le religieux pour conquérir de nouveaux droits personnels et pour façonner le développement de leurs pays. D’autres en arrivent à une remise en cause des pratiques de l’islam, tandis que certaines s’approprient les normes masculines dominantes pour s’affirmer (Saint-Lary 2019). Le caractère novateur du projet repose sur trois éléments: (1) l’angle d’analyse des mobilisations islamiques féminines par un rapprochement Maghreb/Afrique de l’ouest islamisée rompt le clivage habituel dans la recherche scientifique entre ces deux zones. La littérature sur l’islam faisant la jonction entre le nord et le sud du Sahara s’est jusque-là principalement centrée: – sur l’analyse des influences salafistes accompagnant les pétrodollars, les pays du Golfe investissant dans la construction de mosquées et d’écoles (Grégoire & Schmitz 2000); – sur la diffusion de courants culturels, religieux et linguistiques (Binaté 2019), la circulation des personnes et les relations marchandes; – sur le rôle des organismes religieux en matière d’influence diplomatique entre les États (Sambe 2010; Samson 2016; Chena 2011). Les travaux plus anthropologiques portent principalement sur le rôle de l’islam dans l’éducation, la migration, les diasporas, le pèlerinage et le tourisme religieux (Lanza 2014). L’originalité de RIMA est d’étudier la construction et la mobilité des religiosités féminines par influences réciproques entre le Maghreb et l’Afrique de l’ouest islamisée (circulation des idées et des personnes), et non plus seulement l’influence du nord du Sahel vers le sud; et d’analyser, par des études comparatives entre pays de la sous-région, la manière dont ces «bonnes religiosités» sont utiles à la lutte contre les inégalités. (2) Le projet abordera le contexte des violences djihadistes et des clivages inter et intra-religieux non pas du point de vue de la déstabilisation des États, comme le font nombre d’études contemporaines, mais il contribuera à la connaissance des nouveaux modes de mobilisations islamiques (islam vécu et revendiqué au quotidien) mis en œuvre par les femmes de cet espace en réaction à ces violences. (3) RIMA innovera enfin en incluant les autres religions en présence (christianismes, religions africaines) pour saisir la manière dont ces nouvelles mobilisations religieuses féminines se construisent en lien, en opposition, ou en compétition.
L’étude sur les femmes s’inscrit dans l’approche des rapports sociaux de sexe (Guillaumin 1992) incluant de manière sous-jacente les religiosités masculines. Cette approche soulève le problème des inégalités fréquentes et récurrentes dans les rapports sociaux entre hommes et femmes, notamment au niveau socioéconomique et dans les dynamiques de pouvoir. Le projet RIMA fait le pari que les normes de «bonne religiosité» peuvent permettre aux femmes de se positionner favorablement dans ces rapports de pouvoir, même si, comme le décrit Mahmood (2009), elles le font parfois en intériorisant les normes masculines dominantes pour affirmer leur présence dans l’espace social et cultuel. Il ne s’agira pas, toutefois, d’opposer l’intériorisation des normes versus la subversion et la résistance à celles-ci (LeBlanc 2014), afin de ne pas tomber dans l’écueil souligné par Abu-Lughod (2008) dans son analyse des pratiques féminines: le piège ethnocentrique, pour des chercheur.e.s occidentaux.ales, est d’attribuer à tort une forme de conscience féministe (au sens occidental du terme) aux enquêtées; et de mettre l’accent sur le libre arbitre des acteurs sociaux sans tenir compte des mécanismes locaux de pouvoir qui englobent et s’étendent au-delà des relations de genre (Barkaoui 2014a). Aussi l’objectif du projet RIMA est-il de saisir les conditions matérielles et sociales dans lesquelles les femmes parviennent à inscrire leur militantisme, la maitrise des savoirs religieux et de leur religiosité.
L’analyse se déclinera en 3 axes et les études de cas en Algérie, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Maroc, Nigéria et Sénégal, seront menées auprès de femmes dont les activités religieuses sont locales ou transrégionales, ou relèvent d’influenceuses étrangères (occidentales, turques). Des études s’inscriront dans une approche comparative entre deux pays; certaines montreront la circulation des mobilisations religieuses partant d’un pays et se diffusant dans la sous-région; d’autres porteront sur un espace national dont la thématique centrale interroge toute la sous-région.
Axe 1 : L’affirmation par la pratique religieuse
L’appropriation des savoirs et pratiques islamiques par les femmes, phénomène de plus en plus affirmé cette dernière décennie dans la zone Maghreb/Afrique de l’ouest islamisée, est démontrée par nombre de travaux récents: des musulmanes deviennent des figures de réussite religieuses et prennent la tête d’entreprises islamiques conseillères en bonne moralité, créent des ONG islamiques (Vitale 2012 ; LeBlanc 2016), s’érigent en responsables de programmes de lutte contre le VIH/Sida ou la pauvreté (Gomez-Perez 2011), créent leurs propres écoles (Hill 2018), sont reconnues comme prédicatrices (Umar 2004), etc. Cette féminisation de l’autorité religieuse contrebalance la prépondérance masculine sur les discours religieux, sans toutefois la supplanter: les femmes défendent leurs propres modèles de «bonne religiosité» et, par conséquent, de société. Afin d’appréhender ce que cette féminisation du religieux révèle des luttes contre les inégalités, Anouk Cohen étudiera, au Maroc, l’appropriation récente du Coran par les femmes, toutes classes sociales et âges confondus, afin d’analyser leur processus d’intériorisation des normes religieuses et sociales, tout en adoptant des stratégies de création de celles-ci. Le travail portera sur la ville où les Marocaines se rendent désormais seules dans les librairies pour acheter le Coran, et se réunissent pour le commenter entre elles. Il portera aussi sur le milieu rural où de plus en plus de femmes participent aux programmes d’alphabétisation axés sur l’apprentissage islamique. Cette étude interrogera en quoi ce nouveau partage du savoir religieux peut modifier les rapports d’autorité au sein des familles et de la société. De son côté Fatoumata Coulibaly étudiera ce que l’on appelle au Mali le «sutura kènè», espace «sacré» (de l’arabe «satara»: cacher, voiler) inaccessible aux hommes, lieu réel (domicile, «tontines», associations informelles de femmes) et symbolique dont elle fera une cartographie afin d’analyser comment les femmes s’y définissent socialement, économiquement et religieusement, pour affirmer une identité propre et y acquérir une reconnaissance statutaire. L’étude appréhendera la manière dont les femmes utilisent l’islam pour passer de cet espace privé au public, pour s’impliquer dans la vie citoyenne et religieuse. Pour sa part, Issouf Binaté travaillera sur l’Association Ihsane pour le Développement et l’Education (AIDE), représentante de la confrérie turque Naqshbandi depuis 2013 en Côte d’Ivoire, dont l’objectif est le recrutement d’étudiantes pour des séjours d’études religieuses en Turquie. En plus d’actions caritatives, AIDE organise en Côte d’Ivoire des ateliers de formation dans des mosquées, initialement menés par de jeunes imams et aujourd’hui également portés par ces étudiantes de retour de formation en Turquie: elles investissent l’espace musulman ivoirien et diffusent les dogmes de cette confrérie turque, avec son mode d’éducation, ses pratiques, objets et ses styles vestimentaires. L’intérêt sera d’analyser les apports potentiels en termes de prestige social et/ou d’avantages économiques de cet investissement féminin. Marie-Nathalie LeBlanc interrogera le rapport genre/savoir/autorité par l’étude des pratiques de «savantes» de l’islam (prédicatrices et guérisseuses) et des manières de mettre en scène diverses normes de la «bonne religiosité» (objets cultuels, vêtements, média). Les enquêtes en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Nigéria se centreront sur les pratiques des jeunes prédicatrices formées à l’Institut Mohammed VI (Maroc) et des femmes travaillant dans des cliniques de la Roqya (médecine prophétique). Toutes participent à la circulation des pratiques féminines qu’elles rendent légitimes par de nouveaux types d’institutions islamiques de la région: l’institut Mohammed VI forme des prédicatrices étrangères dans le but de diffuser l’«islam du juste milieu» (Baylocq et Hlaoua 2016) et les cliniques de la Roqya sont transnationales.
Axe 2 : Radicalisations religieuses des femmes
Décider de sa propre religiosité et des projets sociétaux qui y sont associés engendre, en cette période de forte politisation du religieux dans la sous-région, une tendance manifeste à une religiosité militante, notamment féminine. Toutes les tendances islamiques sont concernées par ce radicalisme (pratiques exclusives, clivantes): du «soufisme mondialisé» présenté localement comme antidote aux violences djihadistes, à l’islam rigoriste observé par une frange grandissante de la population, les musulmanes affirment de plus en plus ouvertement leur appartenance religieuse pour revendiquer les modes de vie qu’elles choisissent. Maud Saint-Lary étudiera, dans le contexte de crise multiforme qui sévit actuellement au Burkina Faso (djihadisme, banditisme, milices, exactions), les mécanismes d’adhésion des femmes aux formes rigoristes (non violentes) de l’islam sans pour autant présumer qu’elles sont nécessairement l’antichambre du basculement vers une radicalisation violente (Pellerin 2017). Elle étudiera le phénomène de recrudescence du voile intégral en cherchant à saisir ses raisons autant explicites qu’implicites, les influences endogènes et exogènes. L’intérêt est de comprendre la diffusion de cette pratique au-delà des mouvements salafistes, le poids des normes patriarcales et/ou sociales en contexte de problèmes sécuritaires. Dans un contexte différent, le Sénégal où domine un islam soufi imbriqué dans le politique (Seck 2010, Samson 2005), Fabienne Samson abordera aussi la problématique récente du voilement des femmes, non plus dans les groupes salafistes comme le fait habituellement la littérature (Ba 2012; Cantone 2005), mais chez de jeunes filles soufies. Ce voilement, code religieux utilisé pour se mettre en scène (Goffman 1974), montre en quoi la mode islamique mondiale, véhiculée par Internet et les réseaux sociaux, influence ces adeptes soufies jusqu’à leur faire adopter un marqueur d’origine salafiste, qu’elles détournent sans adhérer aux dogmes qui l’accompagnent, et leur permet de se démarquer et de s’affirmer. L’étude s’étendra à l’Algérie pour comprendre comparativement ce que les divers voilements facilitent (études, inscription dans la vie active, politisation, engagement associatif) dans ces deux contextes, différemment réislamisés mais où des groupes religieux associent de manière similaire la «bonne religiosité» à l’implication des croyant.e.s dans le développement de leur pays. Autre forme de radicalité religieuse, la question de la conversion des femmes sera analysée par Géraldine Mossière, à partir d’une étude multi-située. Elle décryptera la rivalité inter-religieuse traduite par des conversions féminines de l’islam vers le christianisme (logique d’abandon de l’islam) et étudiera le «mouvement international Sara», fondé par une ivoirienne convertie au christianisme dont le projet d’évangélisation cible explicitement les musulmans établis dans la région ouest-africaine (Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal). L’étude abordera aussi, dans les mêmes contextes, le caractère clivant des occidentales mariées à un Africain qui, nouvellement converties à l’islam, entreprennent de rééduquer les populations locales au nom d’un «islam vrai», purifié de pratiques jugées non «authentiques» (Mossière 2013), tout en intégrant parfois des praxis de développement personnel ou de psychologie humaniste via la médiatisation de coachs spirituels.
Axe 3 : Combativité civique des femmes par le religieux
Dans le contexte contemporain du Maghreb et de l’Afrique de l’ouest islamisée, où des débats s’organisent autour de la notion de laïcité définie comme intervention équitable de l’État en faveur de tous les groupes religieux (Samson 2013), l’islam permet aux musulmanes de défendre et d’acquérir des droits personnels et sociaux: il devient pour elles un langage social ou politique légitimant leurs revendications de femmes, de croyantes et de citoyennes. L’ambition est d’appréhender la manière dont celles-ci, premières à subir un contrôle socioreligieux évoluant selon les transformations sociales et politiques de la sous-région, usent des références islamiques pour contourner les contraintes et acquérir des espaces de liberté et d’individuation. Kae Amo s’intéressera, au Sénégal, aux jeunes «lettrées» en islam qui s’emploient à reconstruire leur image à travers les espaces numériques. Les plateformes (Facebook, Instagram, LinkedIn ou encore TikTok) constituent aujourd’hui des vecteurs privilégiés de communication pour ces jeunes femmes qui en usent pour développer une image de «femmes modernes», musulmanes affirmées, et imposer un discours autour de leur apport à la société et au politique. L’intérêt sera d’étudier l’engagement religieux, social et politique de ces musulmanes par le biais de ces différentes sphères de communication. Nadège Chabloz étudiera, de son côté, la diversité des féminismes contemporains au Maroc qui, pour la plupart, ont renoncé à se battre sur des positions purement laïcistes et fondent leurs actions de «complémentarité» des genres sur l’argumentaire religieux islamique. Ces «féminismes islamiques» (Latte Abdallah 2010), dont le discours sur l’égalité des genres est issu d’une synthèse entre connaissance de la condition féminine en milieu musulman et relecture érudite des textes religieux (ijtihad), ont été utiles depuis 2003 au pouvoir marocain pour se protéger de la montée de l’islam politique. De leur côté, les rares «féministes séculières» se font difficilement entendre: leurs mouvements créés depuis les années 2000 restent marginaux, mais continuent à militer pour un combat universel, laïc et athée, tel le mouvement MALI de la Marocaine Ibtissame Lachgar qui défend la communauté LGBT, le droit à l’avortement et milite pour l’abolition de la prostitution, du patriarcat, de la culture du viol, etc. L’objectif sera d’étudier ces différents types de féminismes contradictoires, les trajectoires de leurs fondatrices, de celles et ceux qui y adhèrent, leurs discours, modes d’actions et de mobilisations, et leurs difficultés. L’étude de AÏcha Barkaoui se penchera aussi sur la question des féminismes et de l’islam dans le contexte marocain, afin d’interroger diverses figures d’intellectuelles engagées, tout en analysant l’investissement des féministes islamiques dans les médias et les réseaux sociaux. Le contexte de la pandémie Covid 19 a largement poussé les femmes marocaines à prendre la parole et à s’investir pour intégrer l’islam dans divers domaines (éducation, études académiques, recherche scientifique, vie sociale, entrepreneuriat, coaching et développement personnel). L’intérêt sera de comprendre la façon dont ces féministes islamiques et, plus généralement, les femmes musulmanes investissent les médias, profitant de l’enseignement en ligne et de toutes sortes de plateformes numériques pour organiser des séminaires et des rencontres sur l’islam. In fine, Saliou Ngom travaillera au Sénégal sur les transformations actuelles (par le haut et par le bas) des espaces confrériques, dans un contexte global de transformation des rapports de pouvoir: la féminisation de l’autorité religieuse et du savoir religieux, l’indépendance économique générale des femmes (Sarr 1999), l’émergence des classes moyennes, les reconfigurations socioculturelles liées à une transformation dynamique des rapports de genre (Ngom 2021) bouleversent les normes de féminités et la place des femmes au sein des confréries. L’intérêt sera de comprendre dans quelle mesure ces aspirations féminines, qui participent d’un «renouveau islamique» (Fall 1987), transforment les rapports de genre dans l’islam sénégalais, et révèlent des logiques plus globales de mutations des rapports de pouvoir dans l’espace public, notamment à travers l’émergence d’associations féminines confrériques (Gning 2019; Hardy & Semin 2009; Moya 2017).
b. Positionnement par rapport à l’état de l’art
La littérature scientifique sur l’islam en Afrique de l’ouest et au Maghreb, surtout avant les années 1980-1990, s’est principalement concentrée sur l’influence politico-économique des élites islamiques masculines, ce qui a laissé dans l’ombre les engagements religieux des femmes, souvent peu visibles dans la sphère publique (Frede & Hill 2014). Les quelques travaux qui traitent de la relation des femmes à l’islam dans les années 1980 tendent à concevoir l’islam comme un vecteur de subordination et de marginalisation de celles-ci (Callaway & Creevey 1994). Ces études notent que les activités rituelles des musulmanes ouest africaines et maghrébines, en particulier celles qui sont associées aux cultes de possession et aux savoirs féminins (Boddy 1989; Lewis & al 1991; Rasmussen 1995), semblent souvent décrédibilisées par les autorités patriarcales en place et cataloguées par ces dernières comme étant non-islamiques, préislamiques ou encore hétérodoxes (Anderzian 1996; Echard 1991; Strobel 1979). Ces travaux montrent aussi comment la violence religieuse au Maghreb s’est exercée sur les femmes (Tahon 1995; Lamchichi 2006), transformant leurs modes de vie hors des espaces publics (Samson 2020; Seddik 2017). Toutefois, d’autres perspectives contribuent à nuancer le regard porté sur les musulmanes de cette région, ne les envisageant plus comme marginales. Boddy (1989), parmi d’autres, ont largement contribué à souligner que les femmes elles-mêmes ne se perçoivent pas comme marginalisées au sein de leur communauté. Les travaux pionniers de Coulon & Reveyrand (1990) ont aussi aidé à nuancer le regard porté sur les musulmanes ouest-africaines, généralement envisagées sous le seul angle de la marginalité. Nombre de chercheur.e.s (cf. prochain paragraphe) ont emboîté le pas et considéré les femmes comme des «agents religieux» à part entière qui, par leurs aspirations et engagements, façonnent activement les significations religieuses en circulation dans leur communauté.
Ce changement de perspective dans la recherche coïncide avec des transformations historiques qui donnent plus de visibilité aux femmes. Dans les années 1980/90, le pluralisme politique et la libéralisation économique imposés dans divers pays à majorité musulmane favorisent l’appréhension de nouvelles formes de religiosités (Boissevain 2006) et de sociabilités musulmanes (LeBlanc 2014), engendrant une multiplication des associations, des écoles, des médias et des lieux de culte islamiques (LeBlanc 2007). Ces transformations politiques se combinent à des dynamiques religieuses en branle depuis les années 1970, telles que la consolidation des liens avec le monde arabe, la standardisation de l’enseignement islamique avec l’émergence des écoles islamiques et la montée en popularité des mouvements salafistes. Ces deux mouvances (politique et religieuse) contribuent à redéfinir les bases de l’autorité religieuse et à la rendre plus accessible aux jeunes et aux femmes (Gomez-Perez & LeBlanc 2012; Gomez-Perez & Brossier 2016). Cela survient à un moment où le genre devient central dans les approches développementales et où différents pays de la sous-région instaurent des dispositifs censés favoriser l’égalité des sexes, notamment dans le cadre de la transformation des débats publics sur les codes de la famille (Coquery-Vidrovitch 2007) sur la laïcité et les droits des femmes, mais aussi dans celui de la mise en place de politiques de parité homme-femme au sein des instances politiques (Alidou 2005; Vreevey 1996; DeJorio 2009; Sow 2005; Samson 2013; Holder & Sow 2013; Barkaoui 2014b). Le féminisme islamique gagne également une place importante dans la littérature (Latte Abdallah 2010) montrant combien les femmes s’impliquent dans la réinterprétation de leur religion. Ces ouvrages montrent aussi combien, dans les pays où l’islam est la religion dominante, des croyantes luttent pour l’égalité, usent des textes sacrés contre le patriarcat et s’élèvent contre les autorités politiques et religieuses qui bafouent leurs droits (Ali 2012).
C’est dans ce contexte qu’un nombre restreint mais croissant de musulmanes accèdent à des positions d’influence (prédicatrices, érudites en Islam, directrices d’écoles islamiques, directrices de programmation dans les médias islamiques, directrices d’ONG islamiques, entrepreneuses religieuses) auparavant réservées aux hommes, et se voient attribuer une reconnaissance publique pour leur leadership pieux (Tauil 2020). La nouvelle visibilité des musulmanes en Afrique de l’ouest et au Maghreb s’articule autour de plusieurs espaces et une variété de pratiques (Kian 2019). À l’avant-scène se trouve leur montée en visibilité dans les lieux de culte et dans les espaces de socialisation. La piété féminine manifeste sa présence dans l’espace public; certain.e.s auteur.e.s dont Saba Mahmood (2009) parlant de la «révolution des mosquées» pour décrire un phénomène similaire en Égypte. Les femmes d’Afrique de l’ouest et du Maghreb revendiquent et occupent aussi l’espace des mosquées, qui leur a longtemps été fermé ou limité (Cantone 2005, 2009; Saint-Lary 2012b). Elles sont nombreuses à s’impliquer dans les associations musulmanes, qu’elles soient mixtes ou féminines, locales ou nationales (Alidou 2005 ; Augis 2014; LeBlanc 2009, 2014 ; Masquelier 2009; Mbow 1997; Schulz 2008; Tauil 2018). Elles sont investies dans les activités d’entraide, de mobilisation/recrutement de fidèles, et dans l’éducation des femmes et enfants. L’éducation formelle est un lieu de mise en scène de leur religiosité et de leur militantisme religieux. D’une part, les jeunes filles accèdent plus facilement qu’auparavant aux écoles coraniques et islamiques qui se sont multipliées et se standardisent. Cet accès facilité à l’éducation islamique se traduit par une augmentation du nombre de femmes érudites ou enseignantes en islam (Frede 2020; Sène Mame 2016; Sounaye 2011; Umar 2004). D’autre part, plusieurs recherches ont documenté l’importante influence de femmes guides spirituelles, marabouts ou érudites au sein de différents ordres soufis (Buggenhagen 2009; Gemmeke 2008; Hill 2018; Hutson 2004;Sule & Starratt, 1991). La littérature existante fait aussi état de plusieurs femmes qui ont su tirer une forme de légitimité publique en devenant des entrepreneures religieuses. Certaines d’entre elles se sont établies comme des professionnelles de l’organisation du hajj (pèlerinage annuel à la Mecque) (Cooper 1999; Hardy & Semin 2009) tandis que d’autres se sont taillées une place dans le monde du développement, en mettant sur pied des ONG islamiques ou en s’impliquant au sein de celles-ci (LeBlanc 2016). Les nouvelles technologies et l’émergence de médias islamiques ont favorisé la démocratisation des savoirs religieux et créé de nouvelles opportunités de s’exprimer, dont les femmes se sont saisies (Gomez-Perez & Madore 2016), négociant les limites que leur imposent les normes islamiques.
En continuité avec ces travaux récents sur les femmes et l’islam, le projet RIMA ouvre un nouveau champ d’investigations et de débats qui porte non seulement sur la description et l’analyse des activités religieuses des femmes (domaine dans lequel les membres de RIMA ont déjà significativement contribué) mais sur l’interrelation entre la religiosité féminine et les inégalités de genre. L’entrée par les matérialités, qui sera décrite dans la section suivante, distingue aussi l’approche de RIMA des travaux existants.
c. Méthodologie et gestion des risques
La méthodologique commune aux membres de ce projet pluridisciplinaire (anthropologie, sociologie, histoire, géographie, linguistique et science politique) sera basée, outre l’ethnographie (enquêtes de terrain qualitatives, entretiens, observation participante) et la recherche en archives, sur une approche par les matérialités (réelles et virtuelles): pratiques, corps, objets religieux (voile islamique, Coran, etc.), Internet, lieu/espace. Cette entrée méthodologique a fait ses preuves depuis longtemps dans l’étude de faits religieux (Cohen & Mottier 2016): elle permet l’analyse des rituels, des outils de prosélytisme, des langages corporels, des mises en scène de soi et de ses appartenances. Elle a d’ailleurs été expérimentée par plusieurs membres de RIMA: M. N. LeBlanc a travaillé et publié sur la mode islamique et la photographie (2000); M. Saint-Lary et F. Samson ont édité un numéro de revue (2011) et un ouvrage collectif sur les matérialités du religieux (2021); A. Cohen y a consacré un ouvrage (2016); K. Amo s’est penché sur la question de l’espace/corps religieux (2017); I. Binaté (2017) a étudié les nouvelles formes de socialisation et pratiques religieuses des musulmans sur Facebook en Côte d’Ivoire. La méthodologie reposera également sur des portraits de femmes (Camelin et al 2011) facilitant la compréhension et la comparaison de parcours de vie. L’approche par les portraits, basée sur la collecte et l’analyse de récits de vie, est inspirée de l’École de Chicago (Goffman, Becker) et popularisée en sociologie par Bourdieu (1986) puis par Bertaux (2016). Cette méthode permet d’articuler un ancrage socio-historique avec l’interprétation et la représentation de leurs trajectoires par les personnes rencontrées et interrogées; elle relève de la capacité de l’individu à penser son passé de manière réflexive. En d’autres mots, les récits de vie, qui s’élaborent à partir de faits temporels, reproduisent les dynamiques sociales existantes et, par le même fait, construisent les pratiques sociales (Pineau & Le Grand 2013). Afin de rendre cette approche méthodologique probante, le projet RIMA prendra au sérieux la nécessité de retranscrire les dynamiques locales de la prise de parole: qui parle? Qui peut parler? Et comment? Ces questions renvoient à l’idée d’ouvrir des espaces pour entendre les discours des subalternes (Spivak 2016), discours eux-mêmes mis dans une perspective critique par le recoupement des sources diverses. Enfin, une approche visuelle sera utilisée comme outil (filmages, photos, dessins) et comme objet d’observation (feuilletons télévisuels, albums photos, etc.). Trois éléments de méthode seront donc privilégiés dans le cadre des travaux de l’équipe RIMA: l’importance de prendre en compte, lors des ethnographies, des langues locales maitrisées par la plupart des chercheurs du projet; la place donnée aux pratiques non-verbales traduites par l’approche des matérialités; et la mise en place des portraits qui permettront de décrire les pratiques religieuses quotidiennes, les techniques corporelles, les modalités d’appartenance aux groupes, l’intimité, les mobilités sociales et spatiales, les discours médiatisés.
En ce qui concerne la gestion des risques, les pays dans lesquels s’ancre ce projet sont bien connus des chercheur.e.s qui en sont des expert.e.s car ils/elles y ont effectué nombre de missions de terrain depuis plusieurs années. Les enquêtes seront menées sur des terrains accessibles, dont l’IRD autorise les missions. Au Mali, elles seront limitées à Bamako; au Burkina-Faso à Ouagadougou; et en Algérie aux wilayas d’Alger et Blida. En outre, la participation d’enseignant.e.s-chercheur.e.s (malienne, ivoirien, marocaine, sénégalais) avec qui les membres françaises, japonaise et canadiennes du projet collaborent régulièrement, est essentielle pour assurer une faisabilité pleine et entière du projet. In fine, la plupart des enquêtes seront réalisées en terrain urbain (sauf au Maroc) généralement plus sécurisé que celui rural. En ce qui concerne la pandémie COVID 19, les missions qui débuteront mi 2022 seront certainement autorisées et les chercheur.e.s prendront toutes les mesures nécessaires à leur protection et à celle des populations visées (tests, vaccin, distanciation, etc.). Si restriction pandémique, l’équipe débutera les enquêtes en visioconférence avant de se rendre sur le terrain.
Le programme de travail de RIMA, sur 48 mois, se déroulera en 4 grandes tâches :
- Coordination générale du projet
La coordination générale du projet RIMA sera assurée par F. Samson qui sera secondée, dans cette tâche, par M. N. LeBlanc (partenaire UQAM/ICAO). Il s’agira de veiller durant les 4 années au bon déroulement du projet en fonction des échéances établies et des résultats escomptés. Elles seront épaulées dans la gestion des autres tâches par I. Binaté (tâche 2), par N. Chabloz (tâche 3) et par G. Mossière (tâche 4). Les fonctions de la coordinatrice se situeront à plusieurs niveaux :
– Le rôle premier de F. Samson sera de favoriser les contacts entre tou.te.s les chercheur.e.s du projet, afin de créer une équipe solide et des partenariats efficaces. La dispersion des chercheur.e.s sur 4 continents ( Afrique, Amérique du nord, Asie, Europe) constitue une difficulté qu’il s’agira de surmonter. Seront alors mis en place des temps d’échanges, par le biais de visio-conférences, pour faciliter les rapprochements, la cohésion de l’équipe et l’avancement du travail. Un site Internet sera créé où chacun.e pourra, dans le domaine privé du site, communiquer avec les autres et partager son travail (podcasts, journaux de terrain, etc.). Les temps forts du programme (réunions de travail pluriannuelles à Paris et en visio-conférence; workshop; colloque) seront autant de moments collectifs fondamentaux pour cette coproduction des savoirs entre quatre continents.
– En deuxième lieu, F. Samson veillera à préserver le caractère éminemment comparatif du projet en suscitant les analyses croisées entre pays et thématiques. La posture visant à décloisonner les chercheur.e.s de leur pré-carré sera l’un des points forts, tant d’un point de vue humain que scientifique. Réunions, workshop et colloque seront les temps favorables à l’analyse comparative. À la fin de chacune des 4 années, un bilan comparatif sera établi afin que l’avancement des travaux soit visible et évalué.
– En dernier lieu, F. Samson s’attellera à la valorisation des résultats du projet en incitant les chercheur.e.s à participer à des activités de diffusion (scientifiques et médiatiques), en sollicitant les membres du projet à répondre à des invitations de mise en pratique et de valorisation des travaux (notamment des collaborations avec des décideurs politiques/économiques de développement social), et en organisant les publications prévues. F. Samson devra, par ailleurs, assurer la coordination rédactionnelle des rapports demandés par l’ANR.
- Recueil et analyse des données de terrain
Durant les 2 premières années du programme, les chercheur.e.s mèneront leurs enquêtes de terrain (1 ou 2 missions/chercheur.e) selon des méthodologies discutées lors d’un workshop organisé par la Chaire ICAO/UQAM. I. Binaté sera responsable, en appui à F. Samson et à M. N. LeBlanc, des comptes-rendus de missions: il élaborera les bilans annuels liés à la collecte des données de terrain. Deux types de calendrier seront mis en place:
– Le calendrier individuel: chaque chercheur.e réalisera ses recherches bibliographiques et ses enquêtes de terrain dont il/elle aura l’entière responsabilité. Cette phase se déroulera durant les 2 premières années du projet, et chaque chercheur.e devra rendre compte, à la fin de chacune des missions et chaque fin année, de l’avancée de son travail. L’analyse des données débutera en début de 3è année et se prolongera sur la 4è année.
– Le calendrier collectif: La mise en place de la méthodologie d’enquêtes et l’analyse des données seront facilitées par le workshop, les réunions d’échange et de travail collaboratif. La chaire ICAO/UQAM assurera une mise en commun des bibliographies individuelles et constituera un corpus accessible à la communauté scientifique. Chaque membre du projet écrira un journal de terrain qui sera mis en ligne dans le domaine privé du site Internet de RIMA. L’objectif est de travailler collectivement, à partir de la 3è année, sur ces journaux pour mener une réflexivité aboutissant à un rapport collectif.
- Mise en place des manifestations scientifiques et des enseignements
– Manifestations scientifiques: Les réunions de travail régulièrement organisées (3 ou 4/ an) depuis Paris en visio-conférence, 1 workshop à Montréal (2è année) et 1 colloque final à Casablanca seront les temps forts du projet, favorisant les échanges, l’analyse comparative et la valorisation des résultats par des présentations devant des chercheur.e.s extérieur.e.s. Ces rencontres seront l’occasion d’organiser des discussions avec des représentant.e.s de la société civile (ONG, associations) et les acteurs/actrices de politique publique, par le bais d’ateliers inclus dans chacune de ces manifestations scientifiques. Après la fin du projet, un colloque à Kyoto Univ. (Japon) est envisagé pour diffuser les résultats obtenus.
– Un atelier d’écriture en collaboration avec la revue Cahiers d’études africaines sera mis en place, dès la 2è année, sous la responsabilité de N. Chabloz. L’objectif sera de réunir une 10aine d’étudiant.e.s intéressé.e.s par le thème du projet, pour leur expliquer le fonctionnement d’une revue et leur faire rédiger, chacun.e, un article corrigé par les membres de RIMA et qui sera potentiellement publié.
– Deux universités d’été de 2 semaines porteront sur les thématiques du genre et du religieux en Afrique, et permettront d’inviter des chercheur.e.s extérieur.e.s, et d’encadrer en présentiel et distanciel les travaux d’étudiant.e.s de masters et les doctorant.e.s de l’UQAM, de l’EHESS (IMAF), et des universités africaines associées au projet. Coordonnées par l’UQAM/ICAO et l’IMAF, la première se déroulera à l’Univ. A. Ouattara (Bouaké, Côte d’Ivoire), la seconde à l’IFAN (UCAD, Dakar, Sénégal).
- Valorisation du travail/publications
Le travail de valorisation des résultats, partie essentielle du projet, se fera à plusieurs niveaux:
– Niveau individuel: chaque chercheur.e du projet valorisera son travail par des publications personnelles dans des revues et des ouvrages. Chacun.e devra y faire mention du financement ANR.
– Niveau collectif: 2 publications sont prévues dans le projet RIMA, suivant chacune des grandes manifestations scientifiques: un numéro thématique dans une revue canadienne (Canadian Journal of African Studies); un ouvrage collectif en anglais chez Routledge. Des rapports occasionnels pourront également être faits, selon les besoins, avec les partenaires de la société civile (associations, ONG, etc.) invités lors des manifestations scientifiques pour dialoguer sur la problématique du genre et du religieux. Au-delà des publications scientifiques, des portraits de femmes sur supports multimédias seront produits pour diffusion au grand public.
II. Organisation et réalisation du projet
a. Coordinateur scientifique et son consortium / son équipe
Le projet RIMA sera coordonné par Fabienne Samson (https://imaf.cnrs.fr/spip.php?article135), anthropologue, chargée de recherche à l’IRD depuis 2004, enseignante à l’EHESS (Paris) et directrice de l’Institut des mondes africains (IMAF). Elle est spécialiste en anthropologie politique du religieux, et son parcours scientifique s’inscrit depuis près de 20 ans en Afrique de l’ouest (Sénégal, Burkina Faso) et au Maghreb (Maroc, Algérie). Son travail est d’analyser l’impact des forces religieuses sur le développement des sociétés et des individus: leurs enjeux dans les transformations sociétales, les antagonismes qu’elles représentent et les militantismes qu’elles engendrent. Depuis plus de 6 ans, ses problématiques portent principalement sur des questions de genre en lien avec le religieux, au nord et au sud du Sahara. F. Samson a été responsable du programme ANR Priverel «Espaces privés religieux: individus, expériences ordinaires et dynamiques religieuses en Afrique de l’Ouest» (2012/2016), et directrice adjointe de l’UMR CEAf (2010/2014). Titulaire d’une HDR, elle encadre depuis 2017 plus d’une dizaine de doctorant.e.s à l’EHESS (plusieurs ont soutenu), et a été responsable de plusieurs enseignements à l’EHESS (masters et doctorats) depuis 2008. Elle a également co-encadré 4 doctorants en Algérie (Univ. de Blida, Alger et Batna). Dans le cadre de ses 8 projets financés (nationaux, européens et africains), elle a organisé des journées d’étude et des colloques internationaux, et a dirigé plusieurs ouvrages et numéros de revue. Elle a écrit plusieurs ouvrages, plus de 30 articles et chapitres d’ouvrages; elle a toujours œuvré au travail collectif et a l’expérience de la direction d’équipes. Au sein du projet RIMA, elle veillera au respect du calendrier, assurera les tâches administratives demandées par l’ANR, l’organisation des réunions d’équipe, celle du workshop et du colloque, et des universités d’été. Elle soutiendra la cohésion de l’équipe, les échanges scientifiques, favorisera le travail collaboratif et comparatif, et garantira la sortie des livrables et la valorisation des résultats obtenus.
L’équipe du partenaire 1 (IMAF) est constituée de 5 autres chercheures et d’une post-doctorante: Aïcha Barkaoui (univ. Hassan II, Casablanca, Maroc) est linguiste. Elle travaille sur les rapports de genre et elle est la coordinatrice du Master Genre, Sociétés et Cultures à l’université Hassan II de Casablanca. Le colloque final de RIMA se déroulera dans son université à Casablanca (année 4); Nadège Chabloz (IE EHESS) est éditrice aux Cahiers d’études africaines et mène des travaux sur le soufisme au Maroc. Membre de l’IMAF, elle dirige depuis deux ans un séminaire sur les «universaliations et patrimonialisations du soufisme », et elle collabore depuis longtemps avec F. Samson et M.N. Leblanc pour l’édition de numéros spécifiques des Cahiers d’études africaines. Anouk Cohen (CNRS http://lesc-cnrs.fr/fr/cb-profile/188/userprofile) est anthropologue et étudie les usages du Coran, ses producteurs et usagers. Ses recherches actuelles examinent la multiplication et la diversification du livre du Coran articulées à une modification du rapport des fidèles au texte, à sa transmission et plus globalement à l’islam. Elle collabore avec F. Samson et M.N. LeBlanc dans le cadre d’une publication. Fatoumata Coulibaly (USSGB, Bamako, Mali), géographe, travaille sur les femmes et le religieux au Mali. Membre du LMI Macoter associé à l’IMAF, elle collabore depuis plusieurs années avec F. Samson; Maud Saint-Lary (IRD, IMAF), anthropologue, étudie les dynamiques islamiques au Burkina Faso. Elle collabore depuis nombre d’années avec F. Samson (plusieurs éditions communes, partage de plusieurs projets ANR: PUBLISAM; PRIVEREL). Une post-doctorante Cécile Petitdemange, spécialiste de l‘islam au Tchad et au Soudan, intéressée par les questions de genre, dont l’excellente thèse a été soutenue à l’EHESS (IMAF) en 2021, sera recrutée et permettra un élargissement du projet sur ces pays.
L’équipe du partenaire 2 (UQAM/ICAO) compte 3 chercheur.e.s et a comme responsable scientifique Marie Nathalie LeBlanc, (https://sociologie.uqam.ca/corps-professoral/professeurs-es/professeur/leblanc.marie-nathalie/) anthropologue, professeure à l’UQAM et titulaire d’une chaire ICAO. Ses travaux s’organisent autour des enjeux de la transformation de l’islam en Afrique de l’Ouest en lien avec la jeunesse, les rôles des milieux associatifs islamiques dans la société civile et les espaces publics, les rapports de genre, religion et militantisme, et le renouveau des pratiques islamiques liées à l’occulte. Elle est aussi reconnue pour ses travaux comparatifs sur les pratiques religieuses (islam et pentecôtisme). Depuis quelques années, F. Samson et M. N. LeBlanc collaborent sur divers projets: elles ont dirigé un séminaire EHESS (2018-2019) précurseur du projet RIMA; elles dirigent un numéro thématique des Cahiers d’études africaines (publication prévue en 2022); F. Samson participe aux activités de diffusion de la Chaire ICAO dont elle est chercheure associée, et M. N. LeBlanc est membre associée de l’IMAF. En plus des tâches de coordination générale en appui à F. Samson, M. N. LeBlanc se co-chargera avec le soutien technique et financier de l’équipe de coordination de la Chaire ICAO: organisation du workshop à Montréal (2è année); création et coordination de la plateforme virtuelle de diffusion multimédia des portraits et de leur mise en forme (podcasts, exposition virtuelle de photos et dessins, vidéos); coordination des universités d’été. M.N. LeBlanc a organisé en présentiel 2 universités d’été en collaboration avec des universités africaines (2017 avec l’Univ. de Ouagadougou, 2018 avec les univ. Alassane Ouattara et Félix Houpheoët-Boigny) auxquelles des étudiant.e.s de l’UQAM ont participé. M. N. LeBlanc possède une grande expérience de direction d’unités et d’équipes de recherche: centre de recherche CIRDIS et Chaire de recherche ICAO; 4 équipes de recherche dont 2 internationales financées par le CRSH (équivalent canadien de l’ANR). Les autres chercheur.e.s de ce partenaire sont: Issouf Binaté (Université Alassane Ouattara, Côte d’Ivoire), est historien. Il s’intéresse à l’enseignement arabo-islamique, au renouveau de l’islam soufi et à l’humanitaire islamique en Côte d’Ivoire (incluant la présence turque en Afrique de l’Ouest). Il est membre de la chaire ICAO et ses collaborations avec M. N. LeBlanc datent de plusieurs années (projets financés, publications et encadrement d’étudiant.e.s). La 1ère université d’été se déroulera dans son université (année 2); Géraldine Mossière (Université de Montréal), anthropologue, est spécialiste des conversions religieuses (islam, christianisme) et des reconfigurations des rapports sociaux (genre) en contexte de changement de religion. G. Mossière et M. N. LeBlanc collaborent depuis plusieurs années (subventions, colloques).
Responsable scientifique pour le partenaire 3 (IFAN, Sénégal), Saliou Ngom est politiste et sociologue. Il est chargé de recherches à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN) de l’UCAD (Dakar) et travaille sur les mouvements sociaux, le genre, la laïcité, les organisations féminines et la participation politique des femmes et des jeunes en Afrique. Il collabore avec A. Cohen au sein du LATRES (Dakar). Outre ses missions, ce partenariat apportera une aide au financement de l’université d’été à Dakar (année 3).
Responsable scientifique pour le partenaire 4 (Université de Kyoto, Japon), Kae Amo est anthropologue, maîtresse de conférence à Kyoto Seika University (Japon), spécialiste de la religiosité islamique des étudiant.e.s sénégalais.e.s. Outre son projet personnel, sa participation à RIMA permettra d’y inclure une méthodologie visuelle par le biais du graphisme afin de réaliser, entre autres, une publication de textes illustrés sur les différents voiles islamiques au Sénégal et en Algérie. Ce partenariat permettra le financement d’une ou deux missions en Afrique et d’un colloque à Kyoto après la fin du projet ANR (valorisation et diffusion des résultats), en collaboration avec le programme d’études «l’islam et la laïcité en Afrique de l’Ouest» (2021-2023) financé par JSPS (Japan Society for the Promotion of Science). Les liens entre K. Amo et F. Samson sont anciens, la première ayant été l’étudiante de la seconde du master à la soutenance de thèse.
Tou.te.s les chercheur.e.s présenté.é.s sont des expert.e.s reconnu.e.s des zones géographiques couvertes et des thématiques recoupées par le projet RIMA. Ils/elles travaillent depuis plusieurs années sur des dynamiques en lien avec l’islam, et une majorité a travaillé et publié sur les femmes et l’islam au Maghreb et en Afrique de l’ouest. Le projet ainsi formé comprend des chercheur.e.s séniors et juniors qui collaborent depuis plusieurs années par le biais de participations communes à des projets ANR (PUBLISLAM, PRIVEREL) et CRSH au Canada (musulmans du Québec, ONG islamiques, savoirs ésotériques), par un séminaire de recherche à l’EHESS (Paris), et par des colloques et publications.